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lundi 18 avril 2016

A toute vapeur...

Après Pierre Lemaitre et son (mérité) prix Goncourt, un autre Polardeux se lance dans la littérature populaire en nous offrant un roman d’aventure aussi brillant qu’éclectique, mélange des genres au dosage parfait et enchanteur.

Alors, bien sûr, fidèle à ses premières amours, Antonin Varenne nous brode une petite intrigue policière pour servir de trame à ce canevas chatoyant. Une intrigue assez conventionnelle : un tueur en série que le héro va traquer à travers les Etats-Unis en devenir. Mais ce fil rouge sert avant tout à nous livrer la chronique vivante d’une époque, les portraits subtils de personnages attachants et la peinture ultra réaliste de décors dont on perçoit presque les bruits et les odeurs (ah ce Londres en pleine décomposition…).

L’époque d’abord. Un temps de grands changements, avec la vieille Europe et surtout l’Angleterre dont l’immense empire est à son apogée… juste avant la chute promise à tout empire qui par trop s’étend. A l’opposé, il y a cette Amérique naissante, grands espaces à conquérir, sillonnés par ses pionniers poussés par l’espoir d’une vie meilleure. Nous sommes à la croisée des destins quand les laissés pour compte des débuts de l’air industrielle abandonnent une société européenne encore figée sur des principes sociétaux arriérés.

Les personnages ensuite. A commencer par ce héro qui n’en est pas un. Cet Arthur Bowman que l’on suit tout au long de ce parcours chaotique que lui même ne semble pas maitriser. Un homme brisé, un homme perdu qui se laisse porter par les évènements tout autant qu’il cherche à les dominer. Un homme que l’on peut détester parfois, dans sa servilité jusqu’au-boutiste, son entêtement primaire à exécuter les ordres, sa violence auto-justifiée par les circonstances et jusque dans sa fuite dans la drogue et l’alcool. Mais un homme que l’auteur parvient à nous faire aimer aussi dans sa quête de rédemption et le regard impitoyable qu’il porte sur lui même. Les autres personnages sont tout aussi bien campés avec entre autre le beau portrait d’une femme forte et libre et quelques personnages secondaires savoureux.

Les décors enfin.  Tant de lieux que l’on visite avec le héro et ses acolytes. Partis de la jungle Birmane, nous passons quelques temps dans une Angleterre noire et glauque. Celle de la misère crasse du « petit peuple » encore plus prégnante à l’aulne de la richesse des classes dominantes. Et puis c’est le début de la grande aventure. La route de l’Ouest. Le bateau jusqu’aux Etats-Unis. La terre promise de tous les damnés. Une Amérique que l’on va parcourir d’Est en Ouest et du Nord au Sud sur les traces de ses hommes et de ses femmes à la poursuite de leur destin, de cet avenir doré qu’ils ne trouveront pas tous.


Et nous, on traverse cette époque et ces paysages aux côtés de ces personnages avec un vrai délice, conquis par le souffle épique de cette histoire d’autant plus passionnante qu’elle est faite par des anonymes, des sans-grade, à la force de leur seule volonté. Le roman nous emporte avec toute la puissance de ses Trois Mille Chevaux Vapeur, il nous prend et ne nous lâche plus. Assurément un de mes coups de cœur de ce début d’année.

Antonin Varenne - " Trois Mille Chevaux Vapeur " - Le livre de Poche 2015

jeudi 17 mars 2016

Loup y es-tu ?

La critique d’un premier roman n’est jamais chose aisée. Doit-on tenir compte de la « jeunesse » de l’auteur pour lui pardonner les imperfections de l’œuvre ou pour s’émerveiller plus que de raison sur les qualités de ladite ? Ou alors ne doit-on que rendre compte du plaisir que l’on a ressenti, ou pas, à la lecture de l’œuvre ? Laisser parler froidement ses seules émotions si je puis me permettre cette tournure antinomique.
De tels doutes m’assaillent à l’heure de m’installer devant mon clavier pour évoquer Les Loups à leur porte, primo-opus de Jérémy Fel publié par les excellents Payot et Rivages, grands pourvoyeurs de petits plaisirs littéraires s’il en est.

Doutes parce que j’ai bien aimé l’ouvrage, j’ai même pris beaucoup de plaisir à le lire, tout en ne pouvant me retenir d’éprouver quelques regrets, un peu comme si nous étions passés, l’auteur et moi, juste à côté d’un vrai coup de cœur.

Le roman se compose un peu comme ces films qui vous présentent une galerie de personnages sans rapport apparents les uns avec les autres, mais dont les vies vont se croiser et se télescoper à un moment donné, souvent autour d’un thème précis. Je pense au très plaisant Love Actually par exemple… Là, ce n’est point d’amour dont il est question mais plutôt de haine et de violence. Une violence gratuite parfois, brutale souvent et toujours très crue, plutôt bien dépeinte par le style direct et efficace de Jérémy Fel.

On suit différents personnages, victimes, bourreaux ou simples témoins du Mal avec le « M » majuscule cher à Fritz Lang. On entre dans leur vie, on assiste à leur souffrance, on est les témoins de leurs vices et l’auteur réussit à nous les rendre vivants… à nous faire nous retourner pour surveiller nos arrières… des fois que… Personnages nombreux, comme le veut le genre, mais personnages solides et que l’on suit avec intérêt dans leurs pérégrinations funestes.

Roman chorale donc… Mais Roman d’atmosphère surtout, glauque, à la noirceur palpable, presque solide. Ambiance en rouge sang et noir ténèbres. Cette maitrise des ambiances est sans doute ce qui m’a le plus impressionné dans le style de Fel. Et par contrecoup peut-être, j’ai pu regretté le manque de profondeur de certains personnages. Rien de rédhibitoire. Il se peut même que je me montre là par trop exigeant. Mais j’aurais aimé en savoir un peu plus sur les pensés profondes de ces héros parfois monstrueux.

L’exercice de style, le fameux roman-chorale, était périlleux et l’auteur s’en sort plutôt bien en parvenant au final à faire de ces histoires hétéroclites un ensemble plutôt cohérent… Mais ce n’est pas sans faire usage de certains artifices ou de quelques raccourcis qui peuvent laisser le lecteur sur sa faim. Il ne manquait pas grand chose que que ce fusse du grand art.

En conclusion, un excellent roman que j’ai pris beaucoup de plaisirs à lire et qui en appelle d’autres sur lesquels je me jetterai avec impatience.

Jérémy Fel - "Les Loups à leur Porte" - Payot et Rivages 2015

jeudi 4 février 2016

Si j'avais su, j'aurais pas lu...

Ca faisait douze livres que je m’enfilais, faut dire que c’était les vacances, je m’étais très souvent écroulé sur le canapé ou dans mon plumard pour dévorer quelques pages de bons polars comme je les aime. Jonquet m’avait raconté ses orpailleurs et Ellroy son L.A magnifique, c’est vous dire si j’en avais pris tout mon saoul.

Et voilà ma chère et tendre qui me demande si je pense rester planter là encore longtemps, si je n’en n’ai pas mare de ces marioles de héros de roman et de leurs tronches de papier, si je compte un jour revenir dans le monde des vrais gens. Que les choses soient dites, ma bien aimée a d’habitude un regard bienveillant envers ma passion dévorante pour les livres et elle se réjouirait plutôt de ne pas me voir, comme tant d’autres, m’aliéner devant cette télé à la ce que vous savez.
Sa remarque ne manquait donc pas de pertinence et la belle ne manquait pas d’activités alternatives à me proposer. Entre notre petit dernier qui réclamait son biberon, des feuilles mortes à ramasser à la pelle et un garage à ranger, j’avais de quoi faire. Et encore, comme nous n’avons pas de chat, je n’avais pas de caisse à changer. Mais c’est une autre histoire.
Je lui promis donc de m’occuper bientôt desdites taches tout en lui suggérant que je pourrais quand même en lire un dernier pour la route, hein, avant de… Elle en convint et je me précipitais sur ma bibliothèque. Mal m’en prit.

De prime abord, la lecture s’annonçait super, j’allais m’enfiler un petit opuscule d’à peine 300 pages en format poche dont la quatrième de couv’ promettait beaucoup : du « drôle », du « grinçant » et du « cruel », tout ce que j’aime. L’auteur, Shaun Kuhn, nous était présenté comme « l’un des plus inventifs de la scène littéraire américaine ». Bin au final : rien de tout ça.

Un Stagiaire Presque Parfait, aussi connu sous le titre Guide de Survie en Milieu Hostile (bien meilleurs titre d’ailleurs à mon humble avis) est, et il m’en coute de le dire, plutôt mauvais. S’il est drôle c’est à ses dépends quant au grinçant et au cruel, je ne les ai pas trouvé. L’idée de base était plutôt alléchante et prometteuse mais le rendu est loin d’être à la hauteur. Pourtant, généralement, je suis plutôt un public facile, j’adore les James Bond et autres Missions Impossibles avec leurs héros invraisemblables qui se tirent toujours des situations les plus périlleuses et compromises. Je n’ai rien non plus contre l’usage de Deus es Machina pour faire opportunément rebondir une intrigue, mais là, j’dis halte à tout ! Trop c’est trop. C’est plus un héro, c’est un Terminator (J’aime aussi… enfin jusqu’au premier de la série). Si encore ces artifices servaient une cause… Je pourrais admettre. Mais ce n’est pas le cas. C’est peut-être moi, mais je n’ai jamais pu saisir où l’auteur voulait en venir.

En refermant le livre (je termine toujours les romans que je commence, quel que soit la souffrance qui en résulte), et au moment d’en entamer la critique, je me suis dit que ce serait vite fait. J’avais même pensé expédier l’affaire en trois mots : du sous-Dexter, tant j’ai eu l’impression que Shaun Kuhn n’avait eu comme point de départ que l’idée d’écrire un roman sur un tueur psychopathe et qu’il avait ensuite brodé autour de façon très anarchique. Déjà que Dexter ça se lit sans doute assez bien mais ça ne m’a jamais fait relever la nuit (j’adore la série télé par contre bien meilleurs que les bouquins à mon avis) alors un pale ersatz… Vous m’avez compris. 
J'ai aussi pensé que, dans le cas de cet ouvrage, la dénomination de la collection dans laquelle il était édité indiquait l'âge supposé des lecteurs. Mais ma foi en notre belle jeunesse est bien trop vive pour que je lui fasse cet outrage. Bref, j’aurais mieux fait d’aller tondre mon gazon… même en plein hiver.


Lecture achevée, chronique publiée, il était temps de revenir à la vie réelle comme promis à ma mie, en commençant par préparer le biberon de l’héritier. En arrivant dans la cuisine, je me suis dit Tiens, j’m’écouterais bien un petit Renaud en attendant le nouveau qui arrive… En général, ça m’inspire…


Shaun Kuhn - Un Stagiaire Presque Parfait - 10-18 2015