Après Pierre
Lemaitre et son (mérité) prix Goncourt, un autre Polardeux se lance dans la
littérature populaire en nous offrant un roman d’aventure aussi brillant qu’éclectique,
mélange des genres au dosage parfait et enchanteur.
Alors, bien sûr, fidèle à ses premières amours,
Antonin Varenne nous brode une
petite intrigue policière pour servir de trame à ce canevas chatoyant. Une
intrigue assez conventionnelle : un tueur en série que le héro va traquer
à travers les Etats-Unis en devenir. Mais ce fil rouge sert avant tout à nous
livrer la chronique vivante d’une époque, les portraits subtils de personnages attachants
et la peinture ultra réaliste de décors dont on perçoit presque les bruits et
les odeurs (ah ce Londres en pleine décomposition…).
L’époque d’abord. Un temps de grands
changements, avec la vieille Europe et surtout l’Angleterre dont l’immense
empire est à son apogée… juste avant la chute promise à tout empire qui par
trop s’étend. A l’opposé, il y a cette Amérique naissante, grands espaces à conquérir,
sillonnés par ses pionniers poussés par l’espoir d’une vie meilleure. Nous
sommes à la croisée des destins quand les laissés pour compte des débuts de l’air
industrielle abandonnent une société européenne encore figée sur des principes sociétaux
arriérés.
Les personnages ensuite. A commencer par ce
héro qui n’en est pas un. Cet Arthur
Bowman que l’on suit tout au long de ce parcours chaotique que lui même ne
semble pas maitriser. Un homme brisé, un homme perdu qui se laisse porter par
les évènements tout autant qu’il cherche à les dominer. Un homme que l’on peut
détester parfois, dans sa servilité jusqu’au-boutiste, son entêtement primaire
à exécuter les ordres, sa violence auto-justifiée par les circonstances et
jusque dans sa fuite dans la drogue et l’alcool. Mais un homme que l’auteur
parvient à nous faire aimer aussi dans sa quête de rédemption et le regard
impitoyable qu’il porte sur lui même. Les autres personnages sont tout aussi
bien campés avec entre autre le beau portrait d’une femme forte et libre et
quelques personnages secondaires savoureux.
Les décors enfin. Tant de lieux que l’on visite avec le héro et
ses acolytes. Partis de la jungle Birmane, nous passons quelques temps dans une
Angleterre noire et glauque. Celle de la misère crasse du « petit peuple »
encore plus prégnante à l’aulne de la richesse des classes dominantes. Et puis
c’est le début de la grande aventure. La route de l’Ouest. Le bateau jusqu’aux Etats-Unis.
La terre promise de tous les damnés. Une Amérique que l’on va parcourir d’Est
en Ouest et du Nord au Sud sur les traces de ses hommes et de ses femmes à la
poursuite de leur destin, de cet avenir doré qu’ils ne trouveront pas tous.
Et nous, on traverse cette époque et ces
paysages aux côtés de ces personnages avec un vrai délice, conquis par le
souffle épique de cette histoire d’autant plus passionnante qu’elle est faite
par des anonymes, des sans-grade, à la force de leur seule volonté. Le roman
nous emporte avec toute la puissance de ses Trois
Mille Chevaux Vapeur, il nous prend et ne nous lâche plus. Assurément un de
mes coups de cœur de ce début d’année.
Antonin Varenne - " Trois Mille Chevaux Vapeur " - Le livre de Poche 2015